L’eau est la ressource vitale par excellence, elle est celle dont l'absence limite notre survie immédiate plus rapidement encore qu'un manque temporaire de nourriture, et dont l'approvisionnement adéquat (en dehors de l'utilisation dominante dans la production agricole) est nécessaire pour maintenir l'hygiène de base que cela soit du domaine public ou privé. Elle est indispensable dans l’industries et l’agriculture et surexploitée dans l’élevage. L’eau douce représente seulement 2% de la masse totale d’eau présente sur la terre, le reste étant de l’eau salée. De ces 2%, 70 % sont contenus dans les glaces du globe.
Avant la période préindustrielle, dans les régions arides ou dans les endroits reculés ou l'eau à usage domestique doit être transportée sur plus de 500 m, la consommation était inférieure à 10 L/jour et ne dépassait pas les 20 L/jour. La moyenne simple d'une méta-étude comprenant plus de 50 mesures réelles dans des pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine est de 29 L/jour, avec des extrêmes de 2 à 113 L/jour (Tamason et al. 2016).
En revanche, l'utilisation domestique par habitant d'eau courante dans les zones urbaines des pays riches (y compris l'eau pour la boisson, la cuisine, le lavage des vêtements, la vaisselle, le bain et la chasse d'eau) varie de moins de 100 L/jour dans certaines villes européennes à plus de 300 L/jour dans certaines zones métropolitaines d'Amérique du Nord (IWA 2018). Afin d'obtenir un multiple représentatif, nous supposerons 30 L/jour (soit~ 11 m3/an) dans les milieux ruraux traditionnels et, par prudence, 120 L/jour (soit ~44 m3/an) dans les villes modernes. La première moyenne est une hypothèse raisonnable, car 20-40 L/jour sont considérés comme l'eau est utilisée pour l'élimination des déchets car la défécation en plein air ou les latrines à fosse étaient (et sont toujours) courantes. Si l'on compare les prélèvements annuels d'eau douce des pays prémodernes avec ceux des sociétés industrialisées qui ne prélèvent pas d'eau pour l'irrigation (parce que la demande en eau de celles qui le font est dominée par ce secteur), les différences sont beaucoup plus importantes que si l'on se limite à l'usage domestique. Les premiers taux étaient de l'ordre de 15-20 m3/habitant, alors que les taux pour les économies riches non irriguées avec des précipitations adéquates et des ressources en eau relativement bonnes vont d'environ 200 m3/habitant pour le Royaume-Uni à environ 500 m3 pour la France, avec des taux plus élevés pour les Pays-Bas et le Japon (SMIL 2021). Le passage des économies rurales prémodernes aux sociétés industrialisées modernes a donc généré une augmentation d'un autre ordre de grandeur des prélèvements d'eau douce. C’est là que cela pose problème.
En 2021 Le GIEC a publié un nouveau rapport (AR6) qui mentionnait clairement les problèmes que nous rencontrons, et que nous allons rencontrer dans les années à venir, sur les réserves d'eau douces suite au réchauffement climatique. Il en résulte que la dégradation de la qualité de l'eau devrait augmenter suite à l'intensification des inondations, de l'élévation du niveau de mer, de la diminution des niveaux des rivières et des lacs et la poursuite des prélèvements d'eau pour l'irrigation. En outre, le réchauffement devrait perturber la séquestration historique des contaminants dans le pergélisol de l'Arctique et des régions montagneuses (IPCC AR6 ch 4 p76).
Le changement climatique accélère le cycle de l'eau, ce qui veut dire que ce sont les régions les plus arides qui connaissent les sécheresses les plus longues et les plus intenses, alors que les régions humides connaissent des niveaux de précipitations de plus en plus importants (IPCC Bates &al., 2008). Sur l'ensemble des réserves d'eau douce mondiales, seulement 12% sont utilisées pour la consommation, tandis que 72% sont prélevés pour l'agriculture et l'élevage, les 16% restants sont destinés à l'industrie (0NU 2022). D'ici 2025, une bonne moitié de le planète connaîtra des situations de stress hydrique de plus en plus important. Actuellement ce sont déjà 1,3 milliards de personnes qui souffrent d'un accès à l'eau potable, et les maladies qui en résultent sont la première causes de mortalités au niveau mondial. 1,5 millions de gens en meurent chaque années (the world counts 2022).
C'est là qu'interviennent des gens comme Dean Kamen.
Dean Kamen est un homme d'affaire américain de 71 ans, connu pour ses idées transhumaniste, mais surtout, et c'est le plus important, un inventeur hors pair. Il a à son actif pas moins de 440 brevets, dont les pompes à insuline, des prothèses robotisées et autres fauteuil roulant tout terrain. Il a même reçu la National Medal of Technology en 2000 par le président Clinton. Entre 2002 et 2004, il a mis au point le "Slingshot". Un sytème de filtration, ou plutôt de distillation d'eau qui fonctionne par compression de vapeur.
Ce système de purification, de la taille d'un frigo d'appoint, est capable de fonctionner partout ou le besoin s'en fait sentir et peut être alimenté par pratiquement n'importe quoi, comme l'inventeur l'a démontré en buvant sa propre urine. Mais aussi, l'eau de mer, les eaux polluées, ect... Le Slingshot est alimenté par un moteur Stirling, et consomme moins d'électricité qu'un sèche cheveux. Il récupère l'énergie perdue sous forme de chaleur rayonnante lorsque la vapeur se condense dans l'eau, il peut ainsi l'utiliser pour chauffer plus d'eau froide entrante dans le système, réduisant considérablement la quantité d'énergie requise pendant son fonctionnement. À l’aide de cette technique, la distillation à compression de vapeur, mettant l’eau sous pression pour arriver rapidement à son point d’ébullition, l’appareil utilise un échangeur de chaleur pour chauffer l’eau entrante à 100°. Grâce à cette technique, un seul appareil est capable de fournir de l'eau potable à 300 personnes par jour. Avec 15.000 appareils…
Belle utopie... ? Après de nombreux tests in situ dans des villages africains reculés, Kamen a conclut un accord avec le géant de la boisson aromatisée (Cola~coke) afin de se servir de son réseau de distribution mondial pour assurer le déploiement logistique du Slingshot dans les pays en manque d'eau potable. En 2013 Cola~coke associé à d'autres organisations Internationales a commencé à distribuer l'appareil, et en a fait un élément central de ses 'Ekocenter". Les Ekocenter sont des conteneurs d'expéditions alimentés par des panneaux photovoltaïques capables de fournir l'eau potable via les Slingshots, mais aussi un accès à internet et d'autres services de stockages et des fournitures de premiers secours, ainsi que des produits de la marque proposés à la vente aux communautés dans le besoin.
Le succès du slingshot, n’a pas empêché d’autres acteurs de se lancer dans l'aventure. Il existe actuellement des milliers de projets similaires au 4 coins de la planète utilisent des approches totalement différentes. Des usines de dessalement utilisant les nouvelles nanotechnologies, aux pompes à eaux souterraines à des procédés de capture de brouillard, ou le concurrent direct du Slingstot, l'0mniprocessor, soutenu pour Bill Gates, capable de transformer les excréments humains en eau potable et simultanément produire de l'électricité et de l'engrais. Saupoudrer le tout d'un "Smart Grid" (réseau intelligent) et vous aurez une utilisation des ressources naturelles optimale, capable de surveiller les sols et la météo, ou encore Ia détection précoce des maladies, et vous serez en mesure d'économiser des milliards de litres par an.
Des limites à La croissance ? Dans son livre " la magie planétaire" Alf Hornborg propose une méthode permettant d'évaluer si une nouvelle technologie est susceptible d'accroitre l'efficacité d'un système ou d'augmenter sa faillabilité, en 2 questions.
1/ A partir de quels paramètres définit-on l'efficacité d'un système ?
2) Comment assigne-t-on des limites aux entités Sociales considérées ?
Si la première se mesure en comparant les investissements financiers, humains, temp, espaces naturels, énergie dépensée, matériaux utilisés et l'impact total sur la biodiversité (y compris l'humain), une sorte d'analyse du cycle de vie (ACV) élargit, la deuxième pose la question de savoir si l'efficacité accrue pour un groupe social, n'en affecte pas un système social plus large. Ces questions sont évidemment cruciales et doivent être posées, afin de ne pas répéter les erreurs du passé.
Nous pouvons aisément estimer que les points faibles principaux sont le temps et l'obsolescence. La fragmentation des projets ne facilite pas un déploiement massif et rapide de ce type de système. Un autre aléa susceptible d’impacter significativement l'intention de départ, serait l'abandon d'une des parties, ce qui rendrait problématique, mais pas impossible, la viabilité à terme de l'activité. Le point noir le plus important est certainement l'accessibilité aux composants de ces appareils. En cas de panne ou de casse, ces sites isolés n’étant pas approvisionnés de manière régulière, ce qui mécaniquement, entraînerait l’abandon du système au profit d’anciennes habitudes, et réduirait à néant l'ensemble des investissements.
Quand aux externalités sociales, la plus importante repose sur la loi de Liebig sur le minimum. Cette loi indique qu’une population augmente jusqu’a ce que la ressource la plus limitante l’empêche d’augmenter d’avantage. On peut aisément estimer que cet apport aura un impact positif sur la croissance de la population qui en bénéficiera. L’autre impact sera occasionné par des emissions de GES lors de la production de l’appareil et de son déploiement.
Conclusion Les réserves d'eau douce sont un des systèmes naturels qui se dégradait bien avant le début du changement climatique, mais qui sera encore plus appauvri par celui-ci. L'effet des sécheresses et de la désertification sur les réserves d'eau locales est évident, mais paradoxalement, l'augmentation des inondations contamine également l'eau douce par la pollution et/ou l'eau de mer. L'eau utilisable des lacs et des aquifères est surexploitée et polluée, et la concurrence pour les rares ressources en eau dans le monde en développement est de plus en plus féroce. La solution consiste tout simplement à mieux gérer l'eau. Pour ce faire, il faudra investir davantage dans les infrastructures à tous les stades, qu'il s'agisse de l'assainissement, de l'amélioration des réservoirs, de la réparation des canalisations ou de l'augmentation de la capacité de drainage. De nouvelles sources d'eau, telles que la désalinisation et le recyclage des eaux usées, doivent être développées, et de meilleures infrastructures de contrôle et de protection contre les inondations sont nécessaires pour éviter la contamination de l'approvisionnement en eau. Toutefois, au-delà de l'amélioration des infrastructures, le monde a également besoin d'une meilleure gouvernance de l’or bleu.
Sources
Tamason, C.C., Bessias, S., Villada, A., Tulsiani, S.M., Ensink, J.H.J., Gurley, E.S. and Mackie Jensen, P.K. (2016), Measuring domestic water use: a systematic review of methodologies that measure unmetered water use in low-income settings. Trop Med Int Health, 21: 1389-1402. https://doi.org/10.1111/tmi.12769
Vaclav Smil - Grand Transition
Oxford University Press, 2021
Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Working Group II Contribution to the IPCC Sixth Assessment Report
Chapter 4: Caretta, M.A., A. Mukherji, M. Arfanuzzaman, R.A. Betts, A. Gelfan, Y. Hirabayashi, T.K. Lissner, J. Liu, E. Lopez Gunn, R. Morgan, S. Mwanga, and S. Supratid, 2022: Water. In: Climate Change 2022: Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, M. Tignor, E.S. Poloczanska, K. Mintenbeck, A. Alegría, M. Craig, S. Langsdorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem, B. Rama (eds.)]. Cambridge University Press. In Press.
Chapter 4: Caretta, M.A., A. Mukherji, M. Arfanuzzaman, R.A. Betts, A. Gelfan, Y. Hirabayashi, T.K. Lissner, J. Liu, E. Lopez Gunn, R. Morgan, S. Mwanga, and S. Supratid, 2022: Water. In: Climate Change 2022: Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, M. Tignor, E.S. Poloczanska, K. Mintenbeck, A. Alegría, M. Craig, S. Langsdorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem, B. Rama (eds.)]. Cambridge University Press. In P
Climate Change and Water TECHNICAL PAPER — JUNE 1, 2008 Bates, B.C., Z.W. Kundzewicz, S. Wu and J.P. Palutikof, Eds. IPCC Secretariat, Geneva, 210 pp. Available from IPCC Secretariat
Alf Hornborg - La magie planétaire: technologies d'appropriation de la Rome Antique à Wall Street
Édition Divergences 2021
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