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Le rayonnement de la France : Le nucléaire dans l’imaginaire fr


Résumé

Cet article se base sur l’introduction du livre de Gabrielle Hecht : Le rayonnement de la France. Il explore la relation complexe entre le programme nucléaire français et son identité nationale, en se concentrant sur le rôle crucial joué par Electricité De France (EDF) dans la formation du paysage énergétique de la nation. Il examine les implications sociopolitiques du programme nucléaire, les efforts de lobbying pour maintenir sa prééminence, et l'impact sur la société française. Le récit est profondément lié à l'histoire de la France après la Seconde Guerre mondiale, une période marquée par une quête de renouveau national et un désir d'affirmer la place de la France dans le monde.




Introduction


Le récit de l'industrie nucléaire française est une histoire fascinante d'identité nationale, d'innovation technologique et du rôle stratégique d'Electricité De France (EDF) dans la sculpture de l'avenir énergétique de la nation. Ce récit est profondément enraciné dans l'histoire de la France après la Seconde Guerre mondiale, une période caractérisée par une quête de renouveau national et un désir de rétablir la position mondiale de la France.


Dans l'après-guerre, la France s'est trouvée aux prises avec une crise d'identité nationale, alimentée par des angoisses liées aux pertes de guerre, à la reconstruction, à la décolonisation et à la domination américaine. En réponse, les ingénieurs, les planificateurs et les technologues de l'État ont proposé des solutions par le biais du développement industriel et de la prouesse technique. Ils ont envisagé une nouvelle France technologique, avec l'énergie nucléaire en son cœur, et se sont positionnés comme les leaders qui sauveraient la nation de la stagnation induite par les politiciens et les industriels vieillissants.


Cet article explore la relation complexe entre le programme nucléaire français et son identité nationale, en se concentrant sur le rôle crucial d'EDF dans la formation du paysage énergétique de la nation. Il examine les implications sociopolitiques du programme nucléaire, les efforts de lobbying pour maintenir sa prééminence, et l'impact sur la société française. Le récit est profondément lié à l'histoire de la France après la Seconde Guerre mondiale, une période marquée par une quête de renouveau national et un désir d'affirmer la place de la France dans le monde.



Le rôle crucial d'Electricité De France dans la genèse du programme nucléaire français


La naissance et l'évolution du programme nucléaire français sont une histoire étroitement liée au rôle d'EDF, l'entreprise électrique nationalisée. La naissance du programme nucléaire n'était pas seulement un effort technologique, mais un mouvement stratégique qui était étroitement lié à l'identité de la nation et à ses aspirations à l'ère de l'après-Seconde Guerre mondiale.


Au milieu des années 1940 à 1950, le programme nucléaire était principalement sous la juridiction du Commissariat à l'Énergie Atomique (CEA), une agence publique française chargée de la recherche et du développement en énergie nucléaire. Le CEA, pendant cette période, était dominé par une idéologie nationaliste qui était étroitement liée au choix du design gaz-graphite pour ses premiers réacteurs à l'échelle industrielle. Ce régime technopolitique* nationaliste, tel qu'il s'est développé au sein du CEA, a formulé des objectifs de plus en plus ambitieux non seulement pour le programme nucléaire, mais aussi pour le développement industriel français en général.


EDF, créée dans la vague de nationalisations de l'après-guerre, était initialement concentrée sur la construction de centrales électriques conventionnelles. Cependant, son implication avec le CEA et l'énergie nucléaire a marqué un changement significatif dans sa trajectoire. Le régime technopolitique* qui a émergé au sein d'EDF pour gouverner le développement nucléaire était situé à l'intersection de deux systèmes technologiques en plein essor : le réseau électrique en rapide expansion et le programme nucléaire naissant.


La collaboration entre EDF et le CEA n'a pas été sans ses défis. Chaque institution avait son propre régime technopolitique, avec des objectifs et des pratiques de conception différents. Les réacteurs du CEA étaient conçus pour produire du plutonium de qualité militaire à une époque où le gouvernement n'avait pas encore officiellement décidé en faveur d'une bombe atomique française. Cela a fait des réacteurs du CEA la politique nucléaire militaire de facto de la nation. D'autre part, EDF a positionné ses réacteurs en contrepoint délibéré de la technopolitique du CEA. Le premier réacteur d'EDF à Chinon était destiné à être la première étape vers un programme d'énergie nucléaire économiquement viable.


Les régimes technopolitiques du CEA et d'EDF ne concernaient pas seulement la conception et le développement de réacteurs. Ils concernaient également la définition et la mise en œuvre de la politique militaire et industrielle. Dans le processus, ils ont fait de la technologie nucléaire à la fois française et indispensable à la "francité". Les réacteurs, en tant qu'hybrides de technologie et de politique, ont été utilisés par les ingénieurs et les administrateurs pour façonner l'avenir de la France et son identité.


Le rôle d'EDF dans la naissance du programme nucléaire français était donc crucial. Il ne s'agissait pas seulement de produire de l'électricité, mais aussi de créer des symboles de gloire nationale et de prouesse technologique. Le programme nucléaire, avec sa promesse d'avancement technologique et d'indépendance énergétique, était considéré comme un moyen de restaurer le rayonnement de la France. Le terme "le rayonnement de la France", interchangeable avec "la grandeur de la France", renvoie au passé glorieux de la France, du règne doré de Louis XIV à la "mission civilisatrice" de l'empire


In fine, le rôle d'EDF dans la naissance du programme nucléaire français ne concernait pas seulement le développement technologique, mais aussi la formation de l'identité de la nation et de sa place dans le monde. Il s'agissait de l'utilisation stratégique de la technologie pour affirmer la prouesse nationale et pour façonner l'avenir de la nation. L'histoire d'EDF et de la naissance du programme nucléaire français est donc un témoignage du pouvoir de la technologie pour façonner l'identité nationale et le cours de l'histoire.



Le Miroir Nucléaire : L'Atome, une 'Particule' de la Société Française

Les implications sociologiques et anthropologiques du programme nucléaire français


La naissance et l'évolution du programme nucléaire français sont une histoire étroitement liée au rôle d’EDF. La naissance du programme nucléaire n'était pas seulement un effort technologique, mais un phénomène socioculturel qui a eu des implications profondes sur la société et l'identité françaises. Le programme nucléaire était étroitement lié à l'identité de la nation et à ses aspirations à l'ère de l'après-Seconde Guerre mondiale.


D'un point de vue sociologique, le programme nucléaire était une réponse aux changements sociétaux et aux défis auxquels la France était confrontée après la Seconde Guerre mondiale. La guerre avait laissé le pays en ruines, et il y avait un besoin pressant de reconstruction et de régénération. Le programme nucléaire, avec sa promesse d'indépendance énergétique et d'avancement technologique, était considéré comme une solution à ces défis. Il était considéré comme un moyen de restaurer la gloire de la nation et d'affirmer sa place dans le monde.


Le programme nucléaire était également le reflet des dynamiques de pouvoir au sein de la société française. La décision d'investir dans l'énergie nucléaire a été prise par un petit groupe d'ingénieurs et de planificateurs de l'État, qui se sont positionnés comme les leaders qui sauveraient la nation de la stagnation. Ces technocrates, comme on les appelait souvent, détenaient un pouvoir et une influence considérables, façonnant la politique énergétique de la nation et son orientation future.


D'un point de vue anthropologique, le programme nucléaire peut être considéré comme un artefact culturel, un symbole de l'identité française et de la fierté nationale. Le terme "le rayonnement de la France", qui était souvent utilisé pour décrire le programme nucléaire, encapsule ce sentiment. Le terme, interchangeable avec "la grandeur de la France", fait référence au passé glorieux de la France, du règne doré de Louis XIV à la "mission civilisatrice" de l'empire. Le programme nucléaire, avec sa promesse de prouesse technologique et d'indépendance énergétique, était considéré comme un moyen de restaurer ce rayonnement.


Le programme nucléaire a également eu des implications profondes sur la vie quotidienne des Français. Il a conduit à la création de nouveaux emplois, au développement de nouvelles technologies et à la transformation des paysages. Il a également conduit à de nouvelles formes de risque et d'incertitude, en particulier en ce qui concerne la sécurité nucléaire et l'élimination des déchets. Ces changements ont à leur tour conduit à de nouvelles formes d'activisme social et politique, les gens se mobilisant pour exprimer leurs préoccupations et demander des comptes à l'État et à l'industrie nucléaire.



L'impact sur la société française


L'industrie nucléaire a eu un impact profond sur la société française, non seulement en termes d'énergie, mais aussi en termes de travail, de santé et de culture. EDF a joué un rôle central dans ce processus, en tant que principal acteur de l'industrie nucléaire française. Cependant, l'impact de l'industrie nucléaire sur la société française est complexe et multidimensionnel, et nécessite une analyse approfondie pour être développé et compris (Baker et al., 2021).


L'un des aspects les plus importants de l'impact de l'industrie nucléaire sur la société française concerne le travail et l'emploi. Depuis les années 1970, les opérations les plus exposées au risque radioactif ont été sous-traitées à des entreprises extérieures intervenant dans les installations nucléaires. L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire dénombre aujourd'hui près de 33 000 salariés sous-traitants, qui supportent plus de 80 % de la dose collective reçue chaque année dans le parc nucléaire. Les salariés sous-traitants les plus exposés sont les ouvriers et les techniciens des usines de fabrication du combustible et de retraitement des déchets nucléaires, ceux de la maintenance des centrales EDF ou encore ceux chargés du démantèlement, du transport et de la gestion des déchets (Malfilâtre & Thébaud-Mony, 2023).


Ces travailleurs, souvent qualifiés de "liquidateurs" en référence à ceux qui sont intervenus après les accidents nucléaires de Tchernobyl et Fukushima, rencontrent de grandes difficultés à faire entendre leur voix et à faire valoir leurs droits, en particulier leur droit à la réparation en cas d'atteinte à la santé. En effet, la sous-traitance permet aux exploitants nucléaires de rendre invisible le travail humain exposé à la radioactivité, indispensable à la sûreté nucléaire dans la maintenance, le démantèlement et la gestion des déchets, et elle invisibilise donc aussi ses conséquences sanitaires (Malfilatre & Thébaud-Mony, 2023).


En termes de santé, l'industrie nucléaire a également eu un impact significatif. Le risque radioactif est redoutable, étant cancérigène, mutagène et toxique pour la reproduction. Cependant, la gestion du risque radioactif repose sur un postulat scientifiquement faux : l'absence de danger des faibles doses de rayonnement. L'épidémiologie a pourtant montré les liens entre très faibles doses et survenus de décès précoces par cancer chez les travailleurs de l'industrie nucléaire (Malfilatre & Thébaud-Mony, 2023).


Enfin, l'industrie nucléaire a également eu un impact culturel sur la société française. Le nucléaire est devenu un symbole de la grandeur technologique de la France et de sa maîtrise scientifique. Cependant, cette image a été remise en question par les critiques de l'industrie nucléaire, qui soulignent les risques et les coûts associés à cette forme d'énergie.



En conclusion, l'industrie nucléaire en France, avec EDF en son cœur, a façonné non seulement le paysage énergétique du pays, mais aussi son identité nationale, sa politique, son économie et la vie de ses citoyens. Cependant, l'impact de cette industrie est complexe et multidimensionnel, impliquant des aspects sociologiques, économiques, politiques et environnementaux.


L'industrie nucléaire a été un moteur de l'indépendance énergétique de la France, contribuant à la stabilité des prix de l'électricité et à la réduction des émissions de carbone. Cependant, elle a également été associée à des risques environnementaux et sanitaires, notamment en ce qui concerne les accidents nucléaires, l'élimination des déchets radioactifs et les risques pour la santé des travailleurs et des résidents à proximité des installations nucléaires.


De plus, l'industrie nucléaire a influencé le discours politique et culturel en France. Les efforts de lobbying de l'industrie, souvent menés par des sous-traitants, ont contribué à maintenir le rôle central de l'énergie nucléaire dans la politique énergétique française. Ces efforts ont façonné l'opinion publique et influencé le cadre des débats sur la politique énergétique et les questions environnementales.


Enfin, l'impact de l'industrie nucléaire se fait sentir dans les expériences vécues des individus et des communautés en France. Pour ceux qui vivent dans des régions où l'industrie nucléaire est fortement présente, l'industrie a souvent été une source importante d'emploi et d'activité économique. Cependant, ces communautés portent également le poids des risques environnementaux et sanitaires de l'industrie.


En somme, l'industrie nucléaire est profondément ancrée dans le tissu de la société française. Alors que la France et le monde sont confrontés aux défis du changement climatique, de la sécurité énergétique et de la justice environnementale, le rôle et l'impact de l'industrie nucléaire resteront probablement des sujets centraux de l'enquête sociologique et du débat public.


*- Selon Gabrielle Hecht, le terme "technopolitique" fait référence à la pratique stratégique de concevoir ou d'utiliser la technologie pour constituer, incarner ou mettre en œuvre des objectifs politiques. Dans sa vision, la technologie est définie de manière large pour inclure non seulement des artefacts physiques mais aussi des méthodes systématiques non physiques de faire ou de réaliser des choses. Des exemples de technopolitique incluent les réacteurs nucléaires conçus avec l'objectif express de créer et de mettre en œuvre une politique atomique militaire et des études d'optimisation visant à façonner la politique industrielle. Ces technologies n'étaient pas, en elles-mêmes, de la technopolitique ; c'est plutôt la pratique de les utiliser dans des processus politiques et/ou en vue d'objectifs politiques qui constitue la technopolitique (Hecht, 45).


Hecht introduit également le concept de régime technopolitique, qu'elle décrit comme une configuration d'éléments hétérogènes, combinant principalement des matérialités techniques, des discours, des textes, des règles, des procédures, des plans, des instructions d'exploitation et des techniques de calcul. Ces éléments sont rendus mutuellement interdépendants et se soutiennent les uns les autres. Une caractéristique importante de ces régimes est qu'ils se décrivent à la fois comme politiques et techniques. Cette double qualification n'est pas le résultat d'une décision d'un observateur qui a découvert sa nature cachée ; elle est construite par l'arrangement lui-même et y est intégrée (Hecht, 13).


Dans le contexte du programme nucléaire français, Hecht soutient que le programme a contribué de manière puissante à l'établissement d'une forme de fonctionnement des institutions politiques françaises, qu'elle qualifie de démocratie délégative. Cette version particulière de la démocratie était présente sous une forme inachevée et inchoative avant même le lancement du programme ; les décisions prises concernant l'énergie nucléaire ont conduit à sa clarification et à son accomplissement d'une sorte de perfection. La démocratie délégative pure est une invention française à laquelle l'énergie nucléaire a contribué de manière décisive (Hecht, 17).



Références


The Radiance of France: Nuclear Power and National Identity after World War II

By Gabrielle Hecht

The MIT Press

ISBN electronic: 9780262258890

Publication date: 2009



Baker, R. E., Mahmud, A. S., Miller, I. F., Rajeev, M., Rasambainarivo, F., Rice, B. L., ... & Metcalf, C. J. E. (2021). Infectious disease in an era of global change. Nature Reviews Microbiology, 20, 193-205.


Furman, D., Campisi, J., Verdin, E., Carrera-Bastos, P., Targ, S., Franceschi, C., ... & Slavich, G. M. (2019). Chronic inflammation in the etiology of disease across the life span. Nature Medicine, 25(12), 1822-1832.


Le Nucléaire est à la mode – De quoi doit-on s’inquiéter?

Marie Ghis Malfilatre, Annie Thébaud-Mony

Publié le 19 janvier 2023

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