Durant l’été de 1971, un jeune géologue nommé Mike Voorhies prospectait dans des prairies du Nebraska, non loin de la petite ville d’Orchard où il avait grandi. Alors qu’il se trouvait au fond d’un ravin escarpé, il repéra une petite tache claire un peu plus haut dans les broussailles et escalada la pente pour y jeter un coup d’œil. Il découvrit le crâne parfaitement préservé d’un jeune rhinocéros excavé par des pluies récentes. Quelques mètres plus loin, il tomba sur le lit fossilifère le plus extraordinaire jamais découvert en Amérique du Nord, un trou d’eau asséché qui avait servi de fosse commune à des quantités d’animaux – rhinocéros, chevaux proches du zèbre, cerfs, chameaux, tortues. Tous avaient péri dans un mystérieux cataclysme survenu douze millions d’années auparavant, à une époque géologique appelée le Miocène. Le Nebraska était alors une grande plaine chaude comparable au Serengeti d’Afrique aujourd’hui. Les animaux avaient été ensevelis sous une couche de cendres volcaniques de 3 mètres d’épaisseur. Le problème, c’est qu’il n’y a jamais eu de volcan dans le Nebraska… On crut d’abord que les animaux avaient été ensevelis vivants, ont compris peu après qu’ils n’avaient pas péri d’une mort brutale. Ils souffraient tous d’une chose appelée ostéodystrophie pulmonaire hypertrophique – ce qui vous arrive quand vous respirez de grandes quantités de cendres abrasives – et ils ont dû en inhaler beaucoup, parce que la couche de cendres avait plusieurs mètres d’épaisseur sur des centaines de kilomètres. Voorhies expédia des échantillons à ses collègues dans tout l’ouest des États-Unis en leur demandant s’ils contenaient quelque chose qu’ils reconnaissaient. Quelques mois plus tard, un géologue nommé Bill Bonnichsen, du Geological Survey de l’Idaho, l’appela pour lui dire que cette cendre correspondait à celle du dépôt volcanique de Bruneau-Jarbidge, dans l’Idaho. L’événement qui avait tué les animaux des plaines du Nebraska était une explosion volcanique d’une violence inconnue jusque-là – assez forte pour répandre une couche de cendres de 3 mètres de profondeur à 1 500 km de là, jusque dans l’est du Nebraska. Il se révéla que le sous-sol de l’ouest des États-Unis abritait une énorme chambre magmatique, un colossal point chaud volcanique qui entrait en éruption environ tous les 600 000 ans. C’est précisément à cette date que remonte la dernière éruption.
Le point chaud n’a pas bougé. Aujourd’hui, on l’appelle le parc national de Yellowstone. Nous savons remarquablement peu de choses sur ce qui se passe sous nos pieds. Ford fabriquait déjà des voitures et le premier tour de France avait déjà eu lieu avant que nous ne sachions que la Terre possède un noyau (Dixon 1906). Quant à l’idée que les continents se déplacent à sa surface comme des nénuphars sur un bassin, elle est établie depuis moins d’une génération. « Si curieux que cela puisse paraître, remarquait Richard Feynman, nous comprenons bien mieux la distribution de la matière à l’intérieur du Soleil qu’à l’intérieur de la Terre. Les éruptions volcaniques Les éruptions volcaniques de type explosif sont capables d'injecter des aérosols dans la stratosphère. Cette région de la haute atmosphère est particulièrement stable et échappe au cycle de l'eau : les aérosols qui s'y trouvent injectés séjournent 2-3 ans avant de retomber dans la troposphère (partie de l'atmosphère entre 0 et 12 Km), ou ils seront lessivés. Ce temps de séjour est suffisant pour que les aérosols se dispersent sur l'ensemble de la terre et influencent ainsi le climat à l'échelle globale. Ils refroidissent la surface terrestre principalement en faisant écran à l'arrivée du rayonnement solaire (augmentation de l'albédo). Les fortes éruptions engendrent un refroidissement moyen de l'ordre de quelques dixièmes de degrés, mais leur influence reste limitée dans le temps à une durée de l'ordre de l'année (Effet des éruptions volcaniques sur le climat).
Depuis 1500, deux fortes éruptions ont marqués les archives historiques : l'Huaynaputina au Pérou en 1600, le Tambora en Indonésie en 1815. Les deux coups de froid qui ont suivi ont été particulièrement sévères et ont étés ressentis à l'échelle de la planète, entrainant selon les régions d'importantes difficultés économiques. Hubert Lamb, a calculé que le système de basses pression islandais s'étais déplacé de plusieurs degrés de latitude vers le sud au cours des étés autour de l'année 1810, s'installant de manière inhabituelle au dessus des îles Britanniques en créant des conditions climatiques bien plus froides et plus humides sur toutes l'Europe de l'Ouest. L'éruption de l'Huaynaputina a entrainé un épisode de froid important sur des régions, comme le Japon, la Russie et jusqu'à l'Allemagne. Quand le Pinatubo a explosé en 1815, les effets ont étés tels que l'année 1816 a été baptisé "l'année sans été". Plus récemment, les éruptions du Krakatoa en 1883 et du Pinatubo en 1991 ont aussi marqués l'histoire de ces deux derniers siècles. Un indice relatif à l'épaisseur de la couche d'aérosols dans la stratosphère, l'épaisseur optique, permet de caractériser les différentes éruptions volcaniques. Alors que l'éruption d l'Agung en 1963 entraine une baisse de température dans la troposphère et à la surface, nous verrons plus bas que dans le cas de l'éruption du El Chicon en 1982, cette baisse n'apparait pas aussi nettement.
La plus forte éruption de ces dernières décennies est celle du Pinatubo dans les Philippines en 1991. Pour constater son impact sur le climat, il faut regarder l'évolution de la température de l'atmosphère. On y voit que : l'absorption du rayonnement solaire par les aérosols volcaniques ont conduit au réchauffement de la couche d'air dans laquelle ils se trouvent, vers 15 Km d'altitudes dans la stratosphère. À cette altitude le réchauffement est intense dépassant de 1° durant l'année de l'éruption, puis s'atténue progressivement en un ou deux ans, au fur et à mesure que la couche d'aérosols diminue. Dans la troposphère et à la surface, c'est le phénomène inverse qui se déroule: la surface se refroidit d'environ 0,3°C. En effet, il y a moins d'énergie disponible à la surface suite à la réflexion du rayonnement solaire par la couche d'aérosols et, à un degré moindre, suite à son absorption. La séparation de l'atmosphère en deux couches séparées qui ne se mélangent pas (troposphère et stratosphère) est démontrée dans un autre article. On remarque que ce schéma se répète à chaque éruption volcanique explosive:
Changements dans les anomalies de température globale dans la stratosphère inférieure (gauche) et supérieure (droite) dans les observations (noir) et dans les simulations de modèle réalisées avec le modèle de climat chimique GEOS-5 de la NASA (GEOSCCM) en ajoutant progressivement les effets de ( a, d) l'augmentation des gaz à effet de serre, (b, e) l'évolution des substances appauvrissant la couche d'ozone, et (c, f) les éruptions volcaniques et le cycle solaire sur le système climatique.
Enregistrements des températures moyennes mondiales observées en surface et en altitude. De haut en bas: A, enregistrements de la stratosphère inférieure (notée T 4) de deux analyses satellitaires (UAH et RSS) ainsi que des enregistrements de radiosondes pondérés de manière équivalente basés sur les données HadAT2 et RATPAC; B, enregistrements de la moyenne troposphère à la basse stratosphère (T 2) de trois analyses satellitaires (UAH, RSS et UMd) ainsi que des enregistrements de radiosondes pondérés de manière équivalente basés sur HadAT2 et RATPAC; C, enregistrements de la basse troposphère (T 2LT) de UAH et RSS (satellite), et de HadAT2 et RATPAC (radiosonde à pondération équivalente); D, surface (TS). Toutes les séries chronologiques sont fondées sur des données mensuelles moyennes lissées avec une moyenne mobile sur 7 mois, exprimée en écarts par rapport à la moyenne de janvier 1979 à décembre 1997. Notez que les données T 2 (panneau B) contiennent une petite contribution (environ 10%) de la basse stratosphère.
Aérosols volcaniques et vapeur d'eau Le cycle de l'eau joue un rôle fondamental sur le climat par une triple action liée à
La présence de l'eau dans l'atmosphère sous forme gazeuse (puissant effet de serre)
La présence de l'eau sous forme liquide dans les gouttelettes de la couverture nuageuse
L'évaporation
Ce cycle est principalement conditionné par les températures à la surface de la terre. C'est pour cette raison, que dans la troposphère, la concentration du gaz à effet de serre le plus important, la vapeur d'eau, est principalement régulée non pas par un cycle physico-chimique, mais par la température. Aussi son rôle est en premier lieu celui d'amplificateur d'un changement climatique : une augmentation de température accroit la quantité de vapeur d'eau par volume d'air, et par conséquent augmente l'effet de serre lié à ce gaz. Un autre acteur clé est la couverture nuageuse. Les nuages contribuent à la fois au réchauffement de la surface par un puissant effet de serre, et à son refroidissement, par une puissante réflexion du rayonnement solaire. Cs deux effets opposés étant du même ordre, l'impact final est délicat à évaluer.la couverture nuageuse est composée de différent types de nuages dont les caractéristiques radiatives diffèrent fortement. Son évolution, liée au cycle de l'eau ainsi qu'à la distribution des noyaux de condensation, est complexe et difficilement reconstituable dans le passé.
Différences zonales moyennes (VOL-NOVOL) de température, pression et humidité au point froid des tropiques (5 • S5 • N), moyennées zonales pour la période El Chichón (à gauche) et la période du mont Pinatubo (à droite)
L'activité volcanique et El Nino Pourquoi l'éruption du El Chicon en 1982 n'apparait elle pas clairement sur les enregistrements de la température de surface, ou le signal semble être noyé dans un bruit aléatoire ?
En fait il faut tenir compte de l'impact des épisodes El Nino. Lors de l'éruption du Pinatubo, aucun El Nino n'est observé: le refroidissement prend place sur la surface de la terre en s'atténuant progressivement en quelques années jusqu'à la disparition des aérosols volcaniques dans la stratosphère. En revanche, durant l'éruption du El Chichon, le fort El Nino de 1982 – 1983 contrebalance le refroidissement en surface du aux aérosols volcaniques, et le masque durant environ un an (durée normale d'un épisode El Nino).
Résultats Les agents de forçages climatiques d'origine naturelle et anthropique sont nécessaires pour simuler l'évolution de la température durant les derniers 1000 ans. En effet, la combinaison du forçage solaire et volcanique permet de simuler un Petit Âge Glaciaire ainsi qu'une époque médiévale chaude. Par contre, seule l'augmentation des concentrations en gaz à effet de serre et autres aérosols sulfatés, combinée aux changements de la couverture des sols permet de simuler un taux et une amplitude de réchauffement au cours des 50 dernières années en accord avec les observations. (C. Bertrand, CR Geoscience 336 (2004)). 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(1966) . Geophysical Memoirs. Volcanic dust in the atmosphere; with a chronology and assessment of its meteorological significance H. H. Lamb Royal Society 02 July 1970 Volume 266Issue 1178 DOI:https://doi.org/10.1098/rsta.1970.0010 Notes: Ce n'est pas la première fois que l'on attribue des changements drastique aux volcans. En 1990, Alan Hildebrand, de l’université d'Arizona, se rendit au Mexique dans une vaste formation en anneau inexpliquée. Elle faisait 180 km de large et 50 km de profondeur, et se situait sous la péninsule du Yucatan, à Chicxulub, près de la ville de Progreso, à environ 1 000 km au sud de La Nouvelle-Orléans. La formation avait été découverte en 1952 par Pemex, la compagnie pétrolière du Mexique, mais les géologues avaient conclu que cette formation était d’origine volcanique, en accord avec les croyances de l’époque. Hildebrand se rendit sur le site et décida assez rapidement qu’ils avaient trouvé un cratère d'impact. En 1991, il était établi à la satisfaction de tous que Chicxulub était le site d’impact de la météorite KT qui provoqua l'extinction des dinosaures. En 1795, dans son livre A Theory of the Earth with Proofs , James Hutton, a tenté de comprendre les mystérieux processus qui avaient lentement modelé la Terre. À lui tout seul et de façon fort brillante, il fonda la science de la géologie et bouleversa notre compréhension de la Terre. Hutton, né en 1726 dans une famille écossaise prospère, fonda une entreprise prospère produisant du sel d' ammoniac à partir de suie de charbon, tout en occupant ses loisirs à quelques études scientifiques. Il devint un membre actif d’une société savante baptisée l’Oyster Club, où il passa ses soirées en compagnie de gens tels que l’économiste Adam Smith, le chimiste Joseph Black et le philosophe David Hume, auxquels venaient parfois se joindre de grands noms comme Benjamin Franklin et James Watt. Selon la tradition de l’époque, Hutton s’intéressa à peu près à tout, de la minéralogie à la métaphysique. Il mena des expériences de chimie, étudia des méthodes d’extraction du charbon et de construction de canaux, inspecta des mines de sel, se pencha sur les mécanismes de l’hérédité, collectionna les fossiles et proposa entre autres choses des théories sur la pluie, la composition de l’air et les lois du mouvement. Mais sa passion première restait la géologie. Parmi les questions qui soulevaient l’intérêt de cet âge fanatiquement inquisiteur, il y en avait une qui laissait tout un chacun perplexe depuis fort longtemps : pourquoi trouvait-on si souvent d’anciens coquillages et d’autres fossiles marins au sommet des montagnes ? Qu’est-ce qui avait bien pu les amener là ? Les détenteurs d’une solution se partageaient en deux camps. D’un côté, les neptuniens, convaincus que toute chose sur terre, y compris les coquillages à des hauteurs improbables, s’expliquait par la montée et l’abaissement du niveau de la mer. Pour eux, les montagnes, les collines et tous les traits du relief étaient aussi anciens que la Terre elle-même et ne se modifiaient que lorsque l’eau les submergeait pendant les périodes de déluge. Ils avaient pour adversaires les plutonistes, qui faisaient remarquer que les volcans et les tremblements de terre, entre autres agents actifs, ne cessaient de modifier la face de la planète sans rien devoir à des mers démontées. Les plutonistes posaient aussi l’embarrassante question de savoir où allait toute cette eau en dehors des périodes d’inondation. S’il y en avait assez pour recouvrir les Alpes, où donc passait-elle, je vous prie, dans les époques plus tranquilles comme la nôtre ? Ils étaient convaincus que la Terre était soumise à des forces profondes, internes et externes, mais ils n’avaient aucun moyen d’expliquer comment ces coquillages avaient atterri à de pareilles hauteurs. C’est en réfléchissant à ces questions que Hutton eut une intuition géniale. En observant ses propres terres, il pouvait constater que le sol était issu de l’érosion de roches et que des particules de ce sol étaient sans cesse emportées par les eaux de ruissellement, les torrents et les rivières, qui les redéposaient ailleurs. Il comprit que si ce processus devait être mené à sa conclusion naturelle, la Terre finirait par être complètement lisse. Pourtant, il était entouré de collines : il devait donc y avoir un autre processus, une forme de renouveau et de poussée capable de créer de nouvelles collines pour que le cycle se poursuive. Il en conclut que les fossiles marins au sommet des montagnes n’avaient pas été déposés là par des déluges, mais étaient montés avec les montagnes elles-mêmes. Il en déduisit aussi que c’était la chaleur au sein de la Terre qui créait de nouvelles roches et de nouveaux continents et soulevait les chaînes de montagnes. Les géologues ne devaient saisir toutes les implications de sa pensée que deux siècles plus tard, lorsqu’ils adoptèrent la tectonique des plaques. Mais surtout, les théories de Hutton laissaient entendre que les processus qui modelaient la Terre prenaient d’énormes quantités de temps, bien plus qu’on ne l’avait jamais imaginé. Il y avait là-dedans assez de nouveauté pour transformer radicalement notre compréhension de la planète. En 1785, Hutton exposa ses idées dans une longue communication qui occupa plusieurs réunions consécutives de la Royal Society d’Édimbourg.
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